Papier vivant

Peaux de lumière : révéler l’invisible à travers le végétal
Dans ma pratique artistique, le végétal n’est pas un simple support. Il est matière vivante, porteuse de textures, de transparences, de récits silencieux. Arrivé tardivement au travail du papier, après quelques expérimentations étudiantes, j’ai progressivement ressenti le besoin d’intégrer des éléments naturels à mes recherches. Cette démarche a pris forme à travers ce que j’appelle les "papiers vivants".
En récoltant, en coupant, en assemblant ces fragments de nature — carotte, radis, poireau, rose — je ne cherche pas seulement à capter leur beauté organique. Je veux explorer ce qui se cache sous la surface, ce réseau de fibres et de veines, cette architecture cachée que seule la lumière peut révéler. En encadrant ces fines tranches entre deux verres, j’invite la lumière naturelle à jouer, à filtrer, à danser à travers ces membranes végétales, projetant des ombres délicates, révélant des nuances insoupçonnées. Je cherche ainsi à faire dialoguer la nature et la lumière, à capturer l’instant où la matière semble traversée d’une énergie invisible.
Chaque végétal raconte une histoire différente :
Les poireaux, crus ou cuits, dévoilent une structure complexe, presque cartographique, où la chlorophylle et les fibres dessinent des cartes imaginaires.
Les carottes, Les carottes, avec leurs cercles concentriques, deviennent des fenêtres vers un monde minéral, un vitrail organique. Leurs cœurs lumineux évoquent des iris végétaux, des pupilles qui semblent nous observer, nous rappelant que le vivant, même figé, garde une présence fascinante.
Les pétales de rose, au-delà de leur aspect visuel, diffusent une présence olfactive subtile, rappelant que l’art peut aussi être une expérience sensorielle complète.
Les essais moins concluants, comme avec la patate douce, m’apprennent la fragilité de cette quête. Ce légume, opaque et cassant, me rappelle que tous les matériaux ne sont pas faits pour cette lumière, que certains secrets doivent rester cachés.
Mon travail est une exploration sensorielle et intuitive. Chaque expérimentation est une conversation avec le matériau : comment réagit-il à la lumière ? Quelle histoire raconte-t-il une fois transformé ? En laissant ces végétaux s’exprimer à travers la lumière, j’explore les frontières entre l’éphémère et le permanent, entre la nature brute et sa sublimation artistique. Il s’agit de capturer la lumière dans le vivant, de révéler l’invisible dans le visible, de laisser émerger les traces subtiles d’une mémoire organique.
L’idée de tableaux lumineux me fascine. Imaginons ces œuvres présentées devant des tablettes LED, où la lumière artificielle viendrait accentuer ces jeux d’ombres et de transparences. La lumière deviendrait une brosse invisible, caressant la matière, révélant ce qui est souvent imperceptible à l’œil nu. Ce serait une manière de figer le vivant, de capturer ces moments où la matière devient translucide, presque spirituelle.
À travers ces "peaux de lumière", je cherche à créer des empreintes du vivant. Des œuvres qui, comme la peau, gardent la trace du temps, des éléments, des gestes. En jouant avec cette dualité entre fragilité et résistance, j’interroge notre rapport à la nature, à ce qui persiste et à ce qui disparaît.
Ces créations évoquent des sensations tactiles : la douceur d’un pétale, la rugosité d’une écorce, la finesse d’une membrane. Elles questionnent aussi notre regard, notre capacité à voir au-delà de la surface, à percevoir l’invisible dans le visible. En cela, elles nous invitent à une contemplation plus profonde, à une réflexion sur le cycle de la vie, la beauté du simple, du fragile.
Ce travail n’est jamais figé. Il est en perpétuelle évolution, tout comme les matériaux que j’utilise. À chaque nouvelle découverte, c’est un dialogue renouvelé avec la matière, une nouvelle tentative de saisir l’insaisissable, de capturer la lumière dans le vivant.
Lumière préservée / la pérennité des oeuvres
Si mes œuvres captent l’instant vivant, elles ne sont pas pour autant éphémères. Chaque pièce est stabilisée avec soin pour préserver sa structure et sa transparence. Le processus de séchage et d’encadrement entre deux verres permet de figer ces fragments de nature dans le temps, empêchant leur dégradation. Seules certaines nuances, comme le vert intense de la chlorophylle, peuvent s’atténuer, mais cette transformation fait partie de l’histoire du matériau, de son dialogue avec le temps et la lumière.
En réalité, ces compositions évoluent moins qu’on ne l’imagine. Contrairement aux végétaux laissés à l’air libre, protégés par le verre, ils conservent leur intégrité. Il ne s’agit pas d’une œuvre qui se fane, mais d’un instant capturé, figé dans sa plus belle expression. Acquérir une de ces pièces, c’est posséder un fragment de nature pérennisé, une empreinte du vivant qui continue à vibrer sous la lumière.
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